[BG] Tanee Sombrelune.

Acte 01 : « Il n'y a rien de plus beau que le goût de la mort pour affiner le palet. »

*Ambiance Clic*

Le premier pied posé sur une terre habitée depuis fort longtemps. Je ressemble plus à un cadavre ambulant qu'à une humaine, mais pourtant je le suis. Je m'accroche à la terre de mes doigts squelettiques, j'arpente le terrain et ses difficultés avec une faim insatiable. Une faim qui me tord l'estomac, tellement que j'aimerais en vomir, si seulement j'en étais capable. Je palpe la terre, arrache l'herbe en m'y agrippant, avançant inexorablement à travers la plaine couverte d'un manteau blanc. Je mange la neige, je lèche l'eau croupie, contentant mon corps secoué de spasmes. Si je n'étais pas si tendrement proche de la Mort, je dirais que je suis en train de mourir. Mais ce n'est pas vrai. En fait, je viens de commencer à vivre.

Cela faisait 12 longues années que je n'avais pas revu cette terre natale. Cette terre qui m'a portée, pour ensuite me rejeter, comme une bouteille à la mer. 12 années d'ermitage au plus profond des entrailles d'Elona. Cette terre dont on ne parle plus, devenue tabou, fermée à tout jamais à ceux qui veulent y rentrer. Mais pas à ceux qui veulent en sortir... J'ai traversé des eaux des plus rudes pour parvenir jusqu'ici. J'y suis presque. Je crois voir au loin, de mes yeux livides, la silhouette de l'Arche du Lion... A moins que ce soit le Promontoire Divin ? D'un geste perilleux, je lève la main. Entre mes lèvres sèches, je murmure une incantation trop connue. Apparaît devant moi l'un de mes plus fidèles serviteurs, Kreen, mon Démon Sanglant. Je m'accroche à ses os encore putride de sa millième naissance. Je me remets debout, luttant contre les vertiges qui m'assaillent, et ce corps bien trop maigre. J'y arriverais. C'est un loi de famille : Fais de ton Obsession un Déluge, qu'elle Engrange ta vie dans une éternelle Lutte. Nous minimisons ça par ODEL. Une inscription qui traîne sur nos armoiries de famille depuis si longtemps...

Il y a quelques semaines de ça, j'ai reçu une lettre tamponnée de cette inscription. ODEL. J'en ai frémis immédiatement, l'ouvrant précipitamment avec mes doigts tremblants. 12 années que personne n'avait communiqué avec moi. 12 années que je savais toute ma famille proche morte. Sauf quelqu'un. J'ouvris alors la lettre et la lu presque à haute voix, un peu pour me tenir compagnie. Oui, c'est lui ! J'en ai pleuré. Il ne m'avait pas oubliée... Mon frère. Mon précieux frère. La seule personne dans mon esprit qui m'ait tenue compagnie durant ces années d'isolement. Il a construit un Ordre. Il a besoin de moi. Il me demande mon avis, ma permission. Il m'invite... J'ai senti dans mon cœur exploser un tourbillon d'émotions diverses. J'ai chancelé, me rattrapant à Kreen. Mon frère... J'ai levé mes yeux vers la Lune, et pour la première fois depuis des lustres, j'ai souris. Cet astre qui nous était si cher quand nous étions enfants. ODEL, cette vieille tradition de famille... Mon frère veut que ça devienne notre Ordre. L'Ordre de la Lune.

Maintenant, je rampe sur le continent. Je sais que mon frère est là, quelque part. Je sais qu'il m'a sentie arriver. Ce Lien étrange qui nous lie est trop puissant. Il le sait. La nuit est noire, j'entrevois à peine à quelques mètres. Mon souffle provoque de lourds nuages de buée. J'ai froid. J'ai beau vouloir m'accrocher de toutes mes forces à Kreen, mes forces me lâchent. Je glisse de mon Démon, et retombe brutalement sur le sol enneigé. Mes cheveux rouges d'une longueur démesurée s'étalent tout autour de moi. Je frémis, je tremble, je frissonne. Mais je souris. Je sais que ma Mort n'est pas pour maintenant. Cette sensation... Celle qui vous arrive, quand vous êtes mort de fatigue. Votre esprit qui se libère, se dégage de votre enveloppe et s'envole. L'impression que vous sombrer dans un trou bien plus profond que vous ne le croyez. J'y plonge... J'entends des pas légers courir vers moi. Mais je ne vois plus rien. Je crois entendre une voix ; Mais je suis déjà bien loin....

Réveil brutal face à une lueur trop forte pour moi. Je me couvre les yeux en gémissant, clignant maint fois des paupières, avant de me rendre compte que ce ne sont que des simples bougies. Je m'habitue lentement à la luminosité. Je bouge doucement, me rendant compte que je suis dans un lit confortable et bien au chaud. Je suis habillée de vêtements prêts pour le voyage. Je ne comprends pas... A côté de moi trône une assiette remplie à raz bord de nourriture. Quelques bouteilles d'eau et de jus de fruit entourent le plat. Je déglutis difficilement et me jette dessus. Je n'ai jamais eu faim comme ça... Ces longues semaines de voyage m'ont presque tuée. Mais ma joie est tellement grande, d'être arrivée jusqu'ici ! D'avoir réussi. Mon cœur frissonne à l'idée de revoir mon frère. Je ne pourrais pas lui exprimer combien il m'a manquée... Je mange grassement, sans tact ni délicatesse, je dévore, je me goinfre. Je sens doucement mon corps reprendre des forces. Je m'hydrate le plus possible... Puis je m'arrête brusquement. Qui a bien pu m'emmener ici ? J'avais un début de réponse. Dans un coin assombri, il y avait une silhouette immobile sur une chaise. La seule chose que je pouvais dire, c'est que c'était une femme. Mais son visage était à demi caché par une capuche tombante. J'eus du mal à avaler ma bouchée... Comment est-ce qu'il fallait réagir, déjà ? Bonjour ou merci en premier ? Est-ce que les choses avaient changées depuis ma jeunesse ? Je ne fis pas un geste. Nous nous fixâmes ainsi durant un long moment, avant qu'elle ne se lève et s'approche de moi. D'un coup, une peur irrationnelle me prit au ventre. Je n'en laissais rien paraître, malgré mon geste de recul quand elle approcha sa main de moi. Je ferme fortement les yeux, commençant à trembler... Mais je sens juste sa main passer dans mes cheveux. J'ouvre lentement les yeux et regarde le capuchon en face de moi. Je vois qu'un sourire large fend le visage de mon hôte. Je remarque que sa main est bien plus grande que la mienne... Et qu'elle est, en elle-même, bien plus grande et bien bâtie que moi. Mais oui... Ça doit être une Norn !

Nous ne nous disons aucun mot. Elle me laisse manger tranquillement, elle me laisse reprendre mes forces perdues et mes couleurs. Elle se lève. Je la suis des yeux... Je les baisse pour prendre mon dernier morceau de viande et je remarque que ma peau est impeccable... Lavée, briquée, prête pour être montrée aux yeux de tous. Je rougis légèrement. Au fond, une petite colère me secoue ; Comment elle avait osé poser ses yeux de sauvage sur mon corps ?! Et le toucher ?! Je la vois revenir avec une paire de ciseau bien aiguisé. Je ravale ma colère en ouvrant des yeux ronds. Malgré moi, je recule violemment contre le mur et me cogne la tête dessus. Je gémis... Et je l'entends pousser un bruit étrange. Un... Gloussement. Elle sourit en ouvrant la bouche, emportant ce son cristallin dans son geste. Je la regarde d'un air effaré... Qu'était ce son doux et pur ? Elle s'arrête doucement, en essuyant une légère larme sous son capuchon. Elle m'attrape par les épaules et me tourne dos à elle en douceur. Je me laisse faire, déboussolée. Que devais-je dire... ? J'entends le son du ciseau. Je sens parfois sa lame froide sur ma nuque... Elle me coupe les cheveux. Je vois d'immenses mèches tomber autour de moi. Je les regarde... Je sens mon âme se troubler. J'ai l'impression de dire au revoir à ces 12 dernières années. A chaque mèche tombée, un poids s'enlève de mon âme, mais un autre s'y rajoute. Éternelle balance... Elle fredonne. Je l'entends. Cela ressemble un peu aux berceuses que mon frère me chantait quand nous étions enfant. Quand j'avais cette cruelle peur du jour qui me tiraillait. J'ai toujours préféré la nuit... Je crois encore sentir les petits bras de mon frère autour de mon corps frêle... Mais c'est une froide illusion. Je pousse un soupir tremblant. Elle me retourne avec autant de douceur vers elle, et met devant mon visage un large miroir. Je sursaute. Est-ce... Vraiment moi ?

S'étale devant moi un visage que je ne reconnais pas. Fin, creusé, aussi pâle qu'un fantôme. Des lèvres pourtant charnues, un nez pointu. Des cheveux rouges sombres forment un carré qui encadrent parfaitement ce visage, lui donnant un peu plus de volume. De grands yeux, légèrement bridés, en amande, me fixe. D'un doré presque fascinant... Je cligne plusieurs fois des yeux. Je bouge un peu... Oui, c'est bien moi. Je frémis en pensant que je ne m'étais pas vue depuis tant de temps... Je déglutis. Je tourne doucement ma tête pour apercevoir, à la base droite de mon cou, une tâche de naissance représentant un croissant de Lune. Je pose nerveusement ma main dessus et baisse les yeux. Une vague de tristesse m'attrape de plein fouet. La femme semble l'avoir compris, elle baisse doucement le miroir pour me regarder. Je garde ma tête basse. Je ne sais pas ce qu'il m'arrive. Je ressens quelque chose comme... De la reconnaissance. Mais je ne trouve rien d'autre à faire que d'exploser en sanglot, cachant mon visage dans mes mains. La femme perd son sourire et me regarde un moment, avant de me prendre dans ses bras. Le contact me paraît irréel et peu naturel... Mais. C'est chaud. Je sens mon corps se détendre malgré moi. Et c'est là que j'ai entendu sa voix. Une voix douce, flirtant avec des aigus agréables et une basse rassurante, sur un ton tout ce qu'il y avait de plus doux.

« Ne t'en fais pas. Ça repousse les cheveux. »

(

Le premier BG sur le forum ! Et il est bien élaboré ! Félicitation Tanee ! Bon retour parmis les tiens ! Bon courage pour la suite avec cette histoire qui semble difficile à vivre !

)

Magnifique!!!
Que dire de plus. . .

Peut être aussi jolie et profond que l'auteur.